lundi 15 octobre 2012

Annette Messager

"Je suis la colporteuse de chimères, la colporteuse de rêves simiesques, des délires arachnéens. Je suis la truqueuse, la truqueuse des photos repeintes, des agrandissements d'images, des lentilles déformantes. Je suis la menteuse, la messagère des fausses prémonitions, des amours douteux, des souvenirs suspects, la dompteuse des araignées de papier."

Annette Messager, Mes petites effigies, 1988. Détail

Entretien avec Annette Messager

Françoise-Claire Prodhon : Comment as-tu commencé à travailler ?

Annette Messager : J'étais étudiante dans une école d'art et j'essayais de peindre; quelquefois, je réussissais à faire de beaux tableaux et l'on me disait : «C'est beau, c'est puissant, c'est viril...». J'étais contente, mais au bout d'un moment, j'ai commencé à trouver étrange que l'on me parle toujours de puissance, de force ou de virilité. C'était tout de même dans les années 70 et il y avait un paradoxe entre ce qui se passait au dehors et le discours profondément machiste tenu dans les écoles d'art. À cette époque, il n'y avait quasiment pas de femmes artistes en France, et j'ai pensé que le seul    moyen de faire un travail intéressant résidait dans le fait de rompre avec ce discours et de sortir de la norme et des goûts établis. J'ai voulu alors parler de choses beaucoup plus quotidiennes...

F.-C.P. : En fait, tu voulais décliner des choses sur un mode mineur pour en finir avec l'idée de l'art que l'on inculquait dans les écoles...

A.M. : C'était mon intention. J'ai senti à ce moment-là qu'étant une femme, j'étais déjà a priori une artiste dévaluée, donc autant jouer sur la dévaluation complète! C'est peut-être pour cette raison que je me suis intéressée à des formes d'art qui avaient une image un peu secondaire par rapport au «grand» art, que ce soit l'art brut, l'art religieux, ou l'art des fous. J'ai eu envie d'inventer une femme et de parler de sa vie quotidienne, de tous ces petits détails auxquels on ne prête généralement pas attention et cela a débouché sur les «albums collections».

F.-C.P. : De quoi s'agissait-il ?

A.M. : De toute une suite d'albums où il était question d'une fausse femme, d'une fausse vie comme vue à travers les magazines féminins. Toutes ces choses dérisoires comme consulter des fiches cuisine, regarder les braguettes des messieurs, broder un petit proverbe, ou faire 200 fois sa signature pour trouver la plus jolie... Toutes ces choses m'ont attirée pour les raisons que j'évoquais tout à l'heure.

F.-C.P. : Je me souviens que tu as écrit dans un catalogue que lorsque tu étais petite, tu voulais devenir danseuse, religieuse ou peintre; c'est vrai ?

A.M. : Oui, c'était mes trois souhaits. Enfin, religieuse et danseuse, je crois que c'était beaucoup pour le costume! (rires)

F.-C.P. : Oui, mais il n'empêche que ces trois activités sont finalement assez proches; ce sont de véritables sacerdoces. Tu as besoin de t'imposer des règles strictes, de te sentir hors du monde pour travailler ?

A.M. : Oui, cela m'est nécessaire. Je ne ferais rien sans cela, ou bien le quotidien serait très triste. Mon père faisait de la peinture en amateur; c'était quelqu'un de très nerveux et agité. Les seuls moments où je trouvais qu'il avait l'air heureux, un peu béat, c'est lorsqu'il peignait ses petits tableaux: là il me semblait très calme, hors du monde et en état de grâce... Je crois que tu as raison de rapprocher danseuse, religieuse et peintre; elles sont toutes trois hors du monde réel. J'ai besoin d'être un peu retirée; j'ai souvent pensé aussi que si j'étais en prison avec des crayons et de quoi travailler, je serais très bien! (rires)

F.-C.P. : L'atelier est de toute façon un monde très clos!

A.M. : C'est ce qui est dur aussi, car il faut s'enfermer pour travailler, décider de ne pas répondre au téléphone...

F.-C.P. : Revenons-en aux albums dont nous parlions...

A.M. : J'habitais un appartement à Paris où il y avait deux pièces, la chambre, et une seconde pièce qui me servait d'atelier. Dans l'atelier, je confectionnais des petits oiseaux, des sortes de moineaux que je recouvrais de plumes et que j'appelais mes «pensionnaires». C'était un peu comme des enfants: certains allaient se promener, d'autres étaient punis ou alors, ils allaient faire la sieste... Il y avait tout un rituel. Dans la chambre, je faisais des découpages de magazines, j'y découpais ce que l'on disait sur les femmes, les hommes, les enfants, et je traitais ces coupures de journaux comme s'il s'agissait de mon propre album de photos. Un jour, j'ai montré les pensionnaires et les albums à un ami qui a trouvé ridicules ces choses si différentes; quand il est parti, j'étais d'abord troublée, puis j'ai  réfléchi    et me suis dit: « Il n'a pas compris; dans un sens c'est bien, car cela prouve que l'on n'a pas une ligne droite, une personnalité unique...». J'ai décidé de m'appeler «Annette Messager, collectionneuse» qui collectionne ses albums; «Annette Messager, artiste» qui fait ses oiseaux, et de me donner à chaque nouveau travail un nom différent, car je voulais pouvoir tout manipuler : faire de la photo, du dessin, des petits objets, etc. Cela me semblait très féminin le fait de ne pas avoir une pensée ou une activité linéaire, de suivre le sillon d'une journée, ces moments différents du quotidien qui démultiplient le rôle, la fonction d'une femme.

F.-C.P. : Je crois que ces albums étaient présentés fermés ?

 A.M. : Disons qu'ils n'étaient qu'à moitié ouverts, ne serait-ce que parce que j'étais excessivement timide. J'avais peur de faire venir les gens chez moi et de leur montrer mon travail. Alors, je faisais des envois, j'envoyais des petits messages très simples et les gens répondaient ou ne répondaient pas. J'aimais l'idée de toucher les gens chez eux. Dans ces albums, il y avait une somme de travail énorme, mais on ne pouvait pas s'en rendre compte. On ne voyait presque rien car l'album était présenté sous vitrine...

F.-C.P. : La présentation sous vitrine me fait penser à une chose que tu aimes bien, soit les musées d'ethnographie ou d'arts et traditions populaires...

A.M. : Oui. Mais ce qui me plaisait avant tout, c'était l'idée du journal intime. Dans son journal, la jeune fille écrit toute sa vie, mais c'est une chose très fermée, secrète et qui de plus ne prend pas de place! Lorsque j'étais petite, je faisais mon journal, je dessinais, je découpais des petits papiers.

F.-C.P. : L'intime, le secret, ce que l'on ne montre pas du tout, ou du moins pas entièrement, nous ramène encore à l'objet présenté sous vitrine. Il y a dans ton travail ce rapport à la frustration, à l'œuvre que l'on ne peut pas réellement approcher...

A.M. : J'aime que le spectateur qui regarde mes œuvres se sente un peu voyeur, pris en faute, en flagrant délit de regarder. Dans l'exposition des Trophées, ]'avais envie que le spectateur soit mis face à l'image de son propre corps, qu'il y découvre des choses grotesques ou ridicules qui le renvoient à lui-même et se sente un peu honteux de regarder. Dans les albums, les gens lisaient un journal qui ne leur était pas adressé et qu'ils ne pouvaient même pas vraiment lire. Avec la frustration de l'objet enfermé dans la vitrine, je crois que j'ai toujours eu envie que le spectateur soit ridicule en regardant... (rires)

F.-C.P. : Tu nous condamnes à regarder par le trou de la serrure ? (rires)

A.M. : Oui, c'est ça, ce serait mon grand souhait. Ce que j'aime par exemple au cinéma, c'est le fait d'être dans le noir. On voit le film pour soi-même, on s'identifie aux personnages, on a peur, on pleure, on rit; c'est cela qui n'existe pas dans les musées... On peut aussi avoir ce rapport égoïste et privilégié avec un livre, même un livre d'art. Je préfère regarder des reproductions dans un livre d'art car j'ai l'impression que l'œuvre est pour moi seule, que je la découvre. Dans les albums et les dossiers dont nous parlions, tout était faux, cela pouvait être la vie de n'importe qui... Seulement si l'on montre les choses qui nous touchent le plus, on s'aperçoit très vite qu'elles sont universelles.

F.-C.P. : Tu ne m as pas dit quelles étaient les réactions des gens face à ton travail ?

A.M. : Parfois très violentes. Certains de ces albums ne passaient jamais et plus curieusement, auprès de gens très jeunes : les enfants aux yeux rayés, par exemple (c'était une série de photos d'enfants dont j'avais rayé le regard avec un stylo à bille) ou les braguettes.

F.-C.P. : Les braguettes ? (rires)

A.M. : Cela se passait dans la rue; je photographiais les braguettes des hommes au téléobjectif, je m'installais à une terrasse de café et je faisais semblant de photographier autre chose... (rires). Cela m'a donné un album. J'essayais d'agrandir ces photos mais tout se décomposait, devenait flou et pour finir, c'était ridicule.

F.-C.P. : il me semble que c'est une constante dans ton travail, cet intérêt pour le détail isolé qui devient étrange ou totalement grotesque et en même temps tout à fait quotidien...

A.M. : Oui, cela m'a finalement toujours intéressée sans vraiment m'en rendre compte. Dès que l'on grossit les choses, elles paraissent ridicules. J'aime l'idée du fragment du détail, comme les gros plans dans les romans-photos.

F.-C.P. : Aussi parce que tu aimes bien les choses un peu étranges, inquiétantes ou insolites. Tu aimes Blake ou Redon en peinture, le cinéma de Méliès...

A.M. : Oui, mais aussi Walt Disney ou Hitchcock! Je mélange toujours tout; j'ai envie de dire que  ma tête est un peu comme un grenier, j'aime des choses très différentes, j'aime dire que je suis une sorcière qui fait son bouillon de révélateur, agrandit et mélange les parties du corps.

F.-C.P. :Tu aimais te faire peur quand tu étais petite ?

A.M. : Oh oui, même encore maintenant! J'aime bien avoir peur au cinéma et puis, j'aime bien faire peur aux autres. J'ai facilement peur et je cultive ma peur.

F.-C.P. : Mais il y aussi une sorte d'exorcisme dans ton travail; je pense par exemple aux Chimères où tu faisais des sortes d'animaux ou d' êtres monstrueux. C'est tout de même une peur que tu tentes de conjurer...

A.M. : Je crois qu'être artiste, c'est aussi une sorte de conjuration; on grossit, on montre les choses dont on a peur; c'est une façon de les épingler pour s'en débarrasser. La peur du temps qui passe par exemple dans «Annette Messager collectionneuse»; j'aimais l'idée du temps qui embellit et magnifie une collection; et puis, il y avait également le côté un peu vicieux... collectionneuse d'hommes! (rires)

F.-C.P. : C'est toujours le meilleur et le pire chez toi! (rires) L'angélisme (tu voulais devenir religieuse) et le côté démoniaque lorsque tu dis «mutiler» tes modèles!

A.M. : Je les mutile parce que je les aime. C'est une manière de les toucher, de mes les approprier un peu.

F.-C.P. : Oui, mais tu dis «je les transforme en crapauds»... (rires). C'est quand même aussi pour t'amuser non ?

A.M. : Si! (rires) C'est le principe des contes de fées. Les enfants ont ce type de comportement avec leurs jouets : ils aiment leur nounours, mais ils lui déchirent les oreilles! J'aime l'instant de travail avec le modèle; c'est le seul moment où je peux faire rentrer quelqu'un à l'atelier et communiquer un peu. C'est un instant privilégié qui réserve des surprises. L'oreille, la main, le pied ne sont jamais franchement ce que j'avais souhaité; cela me dépasse et c'est formidable.

F.-C.P. : Il y a toujours dans ton travail une relation à la métamorphose, à la magie...

A.M. : Si l'on accepte de dire que l'on fait de l'art, on accepte d'une certaine manière l'idée que l'on est un peu magicien... Magicien de boules de gommes! (rires) Il s'agit quand même d'une opération de transformation du papier ou de la toile et si l'on n'y croit pas du tout, on ne peut pas continuer. Même si c'est ridicule, il faut se mettre dans la position de la magicienne, de la sorcière, pour métamorphoser les éléments. J'aime l'art religieux à cause de cela : les ex-voto sont en soi dérisoires, mais on leur attribue une fonction magique; c'est l'idée du miracle, quelque chose de finalement assez païen.

F.-C.P. :Comment utilises-tu les choses que tu regardes ou ce que tu aimes plus particulièrement comme l'art de certains pays ou les œuvres de certains artistes dont le travail te touche ?

A.M. : De manière générale, lorsque quelque chose m'attire c'est plutôt pour sa forme et non pour son contenu. Ce que j'aime, j'en fais ma pâture... On m'a beaucoup parlé de chiromancie avec la série des trophées, mais moi, je n'y voyais que la forme... J'ai une passion pour l'art Tantrique (sic), les mandalas tibétains, mais je n'ai pas pour autant envie de comprendre. Je pense qu'il en va de même pour beaucoup d'autres artistes. Souvent, il s'agit avant tout d'emprunter des formes.

F.-C.P. : Dans les œuvres, comme dans nombre d'objets qui t'entourent ou de choses que tu cites, i l y a souvent une part de fascination pour le sacré et ce qu il engendre de mysticisme...

A.M. : Cela m'a toujours attirée, certainement parce qu'enfant, c'était la seule chose que je voyais. J'étais très catholique, j'allais à l'église et les seules peintures, le seul art que je connaissais, c'était les tableaux représentant la Vierge, les vitraux, mon livre de catéchisme, les images pieuses très kitsch; j'adorais ça!

F.-C.P. : On a souvent tendance à dire de ton travail qu'il est un peu morbide. Est-ce que tu le vois comme ça?

A.M. : Il est certain que le corps revient constamment dans mon travail, mais c'est la seule chose que nous possédons toute la vie durant et il faut faire avec. Je suis toujours surprise de constater à quel point les gens peuvent trouver ce que je fais morbide, alors qu'en fait, je joue sur deux plans : ce côté tragique, un peu morbide ou dur, et les petites images légères ou drôles. Cela correspond à une réalité de la vie à la fois tragique et comique. Curieusement, j'ai remarqué qu'entre les ex- voto qui représentent les fragments d'un corps «miraculé», mais qui a été en souffrance, et les gros plans amoureux, on parlait le même langage; c'est presque la même vision du corps en fragments grossis, isolés... Comme les fragments d'un discours amoureux.

Entrevue réalisée par Françoise-Claire Prodhon, in http://id.erudit.org/iderudit/36362ac


ANNETTE MESSAGER. Mes trophées (1986-1988)

1 commentaire:

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